Pâques en Martinique : 5 choses à savoir sur la tradition du crabe
En Martinique, le plat traditionnel et emblématique de Pâques est le matoutou. Il est composé de riz et de crabes de terre accompagnés d’une sauce épaisse.
1. « Matoutou » de crabes : une étymologie incertaine
Quelle est l’origine de cette expression ? Plusieurs pistes se dégagent.
Ainsi, chez les Caraïbes, à l’époque de la colonisation, le matoto désigne un objet. Il s’agit d’une petite « table à pieds de bois peints et sculptés et terminés en boule ». Cette table serait surmontée d’un plateau fait de jonc, de feuilles de palme ou de latanier. Les Amérindiens se servaient de ce « matoto » pour y mettre de la nourriture et des boissons. Au 18ème siècle, « les Créoles mangent le crabe avec de la farine de manioc et le mets est connu sous le nom de matoutou » peut-on lire dans des documents historiques.
Juliette Sméralda, sociologue, consultante et auteure explore une autre idée. Au Bénin, l’atutu est un mets préparé à base de crabes avec de la farine de maïs et de l’huile rouge. Se pourrait-il qu’en raison de la traite transatlantique, cette préparation et son appellation se soient retrouvées en Martinique avec une légère déformation ? Ou le mot « matoutou » serait-il la réunion du matoto caraïbe et de l’atutu béninois ?
2. Les Caraïbes, les esclaves Africains et les colons Européens mangeaient du crabe
Les Caraïbes en mangeaient quotidiennement. Pour les esclaves, le crabe venait compenser une alimentation très frugale et déséquilibrée. Ils en consommaient pour survivre. Quant aux Européens, ils s’y soumettaient faute de mieux. Le père Labat, qui a vécu sur l’île et documenté son séjour au 17ème siècle, écrit qu’ « on dit communément que les crabes font une bonne nourriture ».
Cependant, Labat indique que le crabe est approprié pour les Amérindiens habitués à la consommer dès leur enfance ; aux Nègres qui sont de forte corpulence mais que les Européens ne parviennent pas à le digérer en raison de leur constitution (sic).
3. La préparation du crabe a évolué au fil des époques
La manière d’accommoder le crabe s’est enrichie et a changé au cours du temps.
Les Caraïbes le mangeaient avec du piment ; on 17ème siècle, on le faisait cuire à l’eau ou sur du charbon. La farine de manioc a aussi servi d’accompagnement. On peut imaginer que le riz a progressivement remplacé cette dernière pour finir par s’imposer. Aujourd’hui, on y met du massalé. Un apport de l’Inde ?
4. La chasse aux crabes nécessite des outils spécifiques
On ne « pêche » pas littéralement le crabe de terre, on le chasse. Pour cela, les chasseurs s’équipent d’un piège à crabes en bois appelé « ratière », « souricière » ou « zatrap » en créole. Les ratières sont posées au sol, à proximité des trous. Les crabes sont capturés vivants. Il faut également prévoir des appâts (canne à sucre, melon, goyave, etc) pour les attirer.
La chasse aux crabes traditionnelle s’effectuait aux flambeaux pendant la nuit. C’est une pratique ancienne que l’on retrouve dès le 17ème siècle. Le père Labat mentionnait en effet des « flambeaux de bagasse et de bois de chandelle ». Les « serbis » apparaissent plus tard : ce sont des morceaux de tige de bambou garnis de pétrole et d’une mèche pour éclairer.
Enfin, les crabes capturés sont amassés dans des caloges où ils seront nourris, logés, purgés avant d’être dégustés.
5. L’initiation à la chasse aux crabes commence très jeune
C’est un art qui se transmet souvent de génération en génération.
Dès 8 ou 9 ans, des garçons essentiellement sont initiés à la chasse aux crabes de terre. Ils apprennent à fabriquer les ratières, à les poser, les lever, à nourrir les crabes, les vendre le cas échéant.
Juliette Sméralda y voit un rite initiatique qui leur permet à la fois d’être confrontés à la nature, de prendre soin des animaux, de gagner un peu d’autonomie financière avec le produit de la vente.